Ecole et outils numériques au temps du Covid-19

Par Carolina Covarelli
Le 6 mai 2020
Rubrique(s) : Culture et société

Quel est l’approche de deux Pays européens, la France et l’Italie, en matière d’école et d’enseignement en ligne grâce à l’utilisation d’outils numériques pendant cette crise? Ont-ils pu assurer une continuité pédagogique pendant le confinement? La pandémie Covid-19 remet en question le fonctionnement de notre société et nous redonne l’occasion pour s’améliorer dans tous les domaines.

Je suis née en Italie, où j’ai grandi, fait mes études et passé 25 ans de ma vie; arrivée en France avec un Erasmus, j’y habite depuis 25 ans. J’ai donc le même attachement et objectivité vis-à-vis de ces deux pays magnifiques, qui ont tant des choses en commun et tant des choses à apprendre l’un de l’autre.

Démarrage du confinement.

J’étais à peine rentrée de Milan, juste avant que l’Italie, en tant que premier Pays européen, avait mis en oeuvre des mesures de confinement dans le cadre du plan de crise pour limiter la propagation du Coronavirus: initialement de façon graduelle (dès le 23 février en Lombardie) et peu après de façon totale. C’était le 2 mars, pendant que la France continuait sa « vie sociale » normalement (comme on dirait aujourd’hui que nous en sommes privés!). Exactement deux semaines après, le 16 mars, la France à son tour fermait tous les lieux de rassemblements, les écoles et les frontières.

Les outils numériques à l’école

L’Italie a mis une semaine à s’organiser et, dès la deuxième semaine, tous les lieux d’enseignements, du primaire aux grands écoles et les universités, en passant par le collège, les lycées et même les crèches, reprenaient « régulièrement » leurs cours avec tous les élèves à la maison par des moyens informatiques adaptés, du type vidéoconférences etc..

En France, nous entamons la sixième semaine et aucun cours en ligne n’est encore proposé, de façon structurée et systématique, ni en école privée, ni en école publique, en primaire, comme au collège ou au lycée.

Des amis et des membres de ma famille (parents d’élèves et enseignants) m’ont aidé à écrire cet article, grâce à leurs témoignages et à leurs expériences pendant cette période si particulière pour chacun de nous.

L’école en Italie

Avant tout il faut savoir qu’en Italie les écoles publiques couvrent la quasi-totalité de l’enseignement et les écoles privées, sauf exception pour des structures très renommées, sont presque inexistantes et surtout elles ont la réputation d’accepter les étudiants ayant échoué dans le public.

Piano Nazionale Scuola Digitale

Le PNSD (plan national école digitale) a été approuvé par le gouvernement italien en 2015 pour innover et donner un nouvel élan à l’école traditionnelle, et pour développer le digital dans ce domaine. Transversalité et agilité sont des compétences qui sont demandées non seulement aux élèves et enseignants, mais aussi aux directeurs des écoles et au personnel administratif de tous les niveaux scolaires. Chaque étudiant et chaque professeur a son propre profil digital et son parcours depuis l’entrée à l’école. Ce plan prévoit aussi des formations (certaines obligatoires, d’autres facultatives) pour les enseignants pour leur permettre d’acquérir, développer et améliorer leur connaissances dans le domaine du digital et se former à des nouvelles méthodologies d’enseignement. Du coup, en période d’urgence sanitaire, le passage au digital s’est fait assez rapidement, car chaque école en Italie est abonnée à G-Suite , qui met à disposition une série d’outils et de logiciels de productivité de type Cloud computing. Les enseignants peuvent ainsi utiliser plusieurs applications, liées à Google Classroom, selon les besoins:

 Meet pour se connecter, faire cours, prendre la parole, partager son écran;

– Kami pour prendre les photos des cahiers des élèves et pouvoir les corriger en ligne;

– Docs pour partager des documents ; et encore des apps pour faire des questionnaires, de présentations, etc.

Ceci dans le but de pouvoir continuer au mieux les cours, à travers les vidéos, et le contrôle des devoirs (noter, corriger et commenter).

Exemple d’une journée type d’une enseignante en primaire.

Sabrina est maîtresse en classe de CM1 à Bologne. En accord avec les représentants de sa classe et les parents, elle a validé les horaires pour l’école en ligne:

9h – l’appel pour vérifier la présence des élèves.

de 9 à 9.45: avec Meet et d’autres applications à sa disposition, elle fait ses cours sur une ardoise digitale. Le numérique lui permet de faire des cours très dynamiques et adaptés à ses élèves pour capter leur attention et rendre l’enseignement ludique et motivant via l’utilisation de vidéo, quiz, mots croisés, jeux des cartes. Elle reprend les notions vues précédemment et avance sur le programme. Cette méthode lui permet de s’assurer que ses élèves suivent, car ils sont sollicités en permanence. Les cours reprennent après 15 minutes de pose :

de 10h à 11h

de 11.30 à 12.30

La pause déjeuner est plus longue, car le système online est plus fatiguant pour élèves et enseignantes, mais très importantes pour permettre de poursuivre l’enseignement scolaire et surtout soulager les familles, en gardant les enfants toujours occupés avec leur rythme quotidien.

Dans l’après-midi les cours démarrent à 15h pour des interrogations individuelles de 15′ par élève.

La dernière heure est de 15.30 à 16.30. Le rythme reste donc assez soutenu.

Chaque école et enseignante s’organise d’une manière autonome, mais dans le but d’assurer une continuité pédagogique.

Exemple d’une journée type d’un élève au collège.

Federico est élève en seconde à Loreto. Le lendemain du confinement, son professeur d’italien donnait déjà des cours online. Les journées de Federico n’ont pas trop changées, car il y a des cours sur Google Meet tous les jours du lundi au samedi inclus de 8.05 à 12.50 avec 10 minutes de pause entre chaque cours. Même le professeur de gymnastique donne des cours de théorie adaptés à la situation et il note ses élèves: information sur la préparation athlétique, le fonctionnement du corps humain, le système cardiologique, le danger des drogues et de la cigarette, etc. L’équipe pédagogique de Federico n’est pas du tout jeune, ni habituée à travailler avec des outils numériques (la plus jeune a 50 ans), toutefois l’envie et la volonté de poursuivre sont là.

Le corps enseignant en Italie a été formé à savoir utiliser les outils numériques pour l’enseignement toutefois, comme partout, il y a des écoles et des enseignants plus impliqués et performants que d’autres, mais le but est que tout le monde puisse continuer.

Pour ce qui concerne les inégalités: pour les élèves les plus démunis, qui n’ont pas d’outils numériques, l’Etat « prête » des ordinateurs pendant cette période exceptionnelle.

La France et l’école pendant le confinement.

J’habite dans la Métropole Lilloise, j’ai trois enfants : deux au collège dans une école publique, et une en première, dans une école privée. Après avoir demandé autour de moi auprès de mes amis et de leurs enfants, qui fréquent de très bonnes écoles privées et publiques, j’ai découvert qu’aucune de cette école n’effectue des cours en ligne de façon structurée et récurrente. Certains professeurs « pionniers » donnent des cours online par-ci et par-là, mais rien de plus. En revanche il y a une utilisation massive de Pronote et Ent pour donner les devoirs aux enfants. Autant dire que le poids de l’éducation des enfants actuellement repose presque exclusivement sur les épaules des parents et sur la bonne volonté des élèves! Nous sommes à la cinquième semaine et si cela perdure ainsi c’est vraiment surprenant que le Ministère de l’Education ne mette rien en place pour venir à l’aide des familles dans ce sens-là, même en tenant compte des inégalités d’accès liées au digital.

Interview de Jean-Marc Petit, Délégué Général RenaSup.

Jean-Marc Petit est Délégué Général de RenaSup, un organisme national de l’enseignement catholique en charge des questions d’enseignement supérieur. Il a accepté de répondre à mes questions en précisant qu’il s’agissait d’un échange informel que n’étant pas spécifiquement en charge de ce sujet, ses propos étaient tenus à titre personnel.

Il a évoqué le problème de la triple fracture quant à l’accès au numérique :

– L’existence de zones instables voire blanches;

– La différenciation sociale quant à l’équipement des familles. Même quand il y a un ordinateur à la maison, comment faire travailler 3 enfants en même temps alors que parfois les parents en ont eux-mêmes besoin pour leur télé travail?

– L’existence de différences de moyens entre établissements.

Il m’a indiqué qu’au-delà de cette triple fracture numérique existait une véritable question touchant à l’appropriation des pédagogies du digital.

Dans le secteur public, comme dans le secteur privé: les enseignants avaient l’habitude d’utiliser des canaux numériques pour la dimension administrative de leur métier mais n’étaient pas suffisamment et très inégalement préparés à utiliser les outils numériques distanciels avec les modalités pédagogiques spécifiques qu’ils supposent

Il n’y a pas d’uniformité en matière d’usage des moyens numériques d’enseignement. Très peu utilisent toutes les ressources d’articulation distanciel/présentiel qu’offrent les nouveaux outils numériques.

Pourtant il y a bien des outils prévus pour fournir des cours en direct (synchrone), comme les fournisseurs d’outils de visioconférences ainsi que des plateformes dites Espace Numérique de Travail. Des conventions existent également avec des éditeurs et fournisseurs de dispositifs d’apprentissage en ligne comme le projet Voltaire pour l’orthographe, mais c’est à chaque établissement d’en organiser l’usage.

Les outils numériques mis à disposition pour l’école en France

La France est méfiante quant à l’invasion des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) dans la sphère scolaire pour des raisons liés à la confidentialité et à la conformité avec le RGPD. Bien sûr, dans l’urgence, des propositions nationales gratuites comme «Ma classe à la Maison» produite par le CNED ont été mises à la disposition des enseignants et des familles du public comme du privé sous Contrat avec l’Etat. Toutefois, tous ces outils demandent qu’on se les approprie de manière efficiente, ce qui suppose une formation aux pédagogies spécifiques qu’elles sous-tendent.

La mise en œuvre de la continuité pédagogique a souvent consisté à déposer des documents, des devoirs, les récupérer, les déposer corrigés, parfois avec un emploi du temps en visio.

C’est vrai que ces dernières visios n’ont pas toujours été possibles notamment en raison d’une certaine inégalité d’équipement entre les familles. Si on y réfléchit, ce n’est pas si mal et a demandé beaucoup de travail aux enseignants qui s’y sont engagés même si nous sommes loin d’une continuité pédagogique distancielle réellement interactive. En effet, le numérique offre beaucoup plus de possibilités, de rupture pédagogique qui soient autre chose que la simple transposition en distanciel de ce que l’on fait habituellement en classe.

A ce niveau, l’enseignement supérieur, longtemps critiqué pour son manque de pédagogie, a peut-être pris de l’avance et l’enseignement secondaire pourrait s’en inspirer. Regardez ce que propose Hémisf4aire animé par le talentueux Jean-Charles Cailliez à l’Institut Universitaire Catholique de Lille.

Et demain?

Ce sera peut-être un des points positifs de cette crise que d’amener de plus en plus d’acteurs de l’éducation, enseignants, encadrants à envisager un usage original des supports numériques en temps ordinaire. S’y investir et s’y former.

Nous venons d’apprendre que nous resterons encore au moins un mois en confinement mais, après deux semaines de vacances pendant lesquelles les parents doivent encore assurer le suivi de leurs enfants, pourront-ils enfin compter sur le fait que l’école et les professeurs acceptent les nouveaux défis et essayent de mettre en oeuvre des outils numériques pour assurer des cours en ligne? Cette crise nous remet tous en question et nous redonne l’occasion pour s’améliorer dans tous les domaines : surtout ne l’oublions pas quand nous nous en sortirons.

Nota Bene

En réalité un Plan du développement numérique pour l’éducation a été aussi initié en France en 2015 avec deux objectifs principaux:

  • « Cohésion : d’ici 2020, garantir à tous un accès au bon haut débit (>8 Mbit/s) ou au très haut débit et généraliser la couverture mobile de qualité (permettant l’ensemble des usages de la 4G),
  • Ambition : d’ici 2022, doter tous les territoires de la République d’infrastructures numériques de pointe, en offrant des accès à très haut débit (>30 Mbit/s) ».

Et alors, nous en sommes où aujourd’hui, cinq ans après?

A l’heure actuelle, presque deux mois après le confinement, l’Italie a décidé de continuer les cours en ligne, de ne plus rentrer à l’école pour cette année scolaire et de reprendre en septembre; la France a annoncé que le retour à l’école se fera progressivement à partir du 11 mai.

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